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Les médecins militaires face à l’épuisement professionnel
Travailler en tant que médecin militaire peut s’avérer être un véritable défi, comme en témoignent les nombreux messages que nous avons reçus. Certains ont été convoqués par leur hiérarchie pour avoir exprimé leur opinion, tandis que d’autres se sentent constamment mis à l’épreuve sans récompense. Malgré cela, nous tenons à remercier tous ceux qui se sont intéressés à notre cause.
Après de longues discussions, une chirurgienne militaire audacieuse a accepté de rompre le silence. Passionnée par son métier sur le terrain, elle a malheureusement développé un épuisement professionnel. Lorsqu’elle partait en mission pour une durée de trois mois au Tchad ou au Niger, les opérations extérieures s’enchaînaient. « La charge de travail était extrême », confie-t-elle. « Nous voyions des soldats blessés et à notre retour, nous étions immédiatement retenus pour reprendre notre tâche sans avoir le temps de nous reposer ou de réaliser si nous allions bien ou non. Nous étions constamment corvéables et il ne nous était pas permis de nous plaindre. »
Après un arrêt maladie de 10 mois prescrit par un psychiatre, cette jeune chirurgienne a finalement décidé de quitter l’armée, épuisée par un management qu’elle jugeait violent.
Départs en série : 217 médecins quittent l’armée, dont 44 pour raisons médicales
La rupture avec l’armée n’est pas isolée. Nous avons pu consulter une liste qui révèle que de nombreux médecins militaires, parmi les plus qualifiés, ont décidé de partir. Le ministère de la défense le confirme : l’année dernière, 217 médecins ont quitté l’armée, dont 44 pour des raisons médicales, certains ayant profité d’arrêts de travail peu justifiés.
Sous le couvert de l’anonymat, un gradé témoigne sans détour d’un service de santé en déclin. « Tout le système est en train de s’effondrer », déclare-t-il. « Bientôt, il n’y aura plus de Service de Santé des Armées. Lorsque vous partirez en mission, vous pourriez vous retrouver avec seulement une trousse de secours. »
Le Service de Santé des Armées en difficulté
Depuis 10 ans, le Service de Santé des Armées a vu ses effectifs diminuer de 10%, conséquence directe des coupes budgétaires. Les hôpitaux militaires ne sont pas épargnés, avec une réduction d’un quart de leurs troupes. Les blocs opératoires et les services d’urgences ferment les uns après les autres, au point de mettre en danger nos soldats en cas de conflit.
Selon un rapport, le Service de Santé des Armées est dans l’incapacité, tant sur le plan humain que matériel, de faire face à un engagement majeur. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : lors de l’exercice militaire Orion mené cette année, seuls vingt blessés par jour ont pu être traités, alors qu’il faudrait pouvoir en soigner plusieurs centaines en cas de guerre, d’après le Sénat.
Quitter l’armée : un défi de taille pour les médecins
Parfois, quitter l’armée peut se révéler être un véritable parcours du combattant pour certains médecins militaires. Formés et rétribués par l’armée pendant leurs études, ils doivent en échange servir sous les drapeaux pendant vingt-sept ans et demi.
Cependant, certains se retrouvent loin du compte, comme cet officier urgentiste que nous avons récemment rencontré. Devenu père de famille, il n’était plus en mesure de supporter les cadences effrénées liées à la baisse des effectifs. « À 17 ans, nous nous engageons pour 28 ans, avec seulement 6 mois pour réfléchir et après, c’est terminé », confie-t-il.
Sa vie de famille en a souffert et il a fait trois demandes de démission, toutes refusées. « C’est seulement après la troisième demande que j’ai compris que l’armée ne voulait pas nous laisser partir. J’ai donc consulté un collègue médecin, qui m’a prescrit un arrêt maladie, et ma demande a été finalement acceptée. »
Au cours de notre enquête, une dizaine de médecins nous ont confirmé avoir procédé de la même manière pour quitter l’armée. L’un d’entre eux ajoute : « Nous étions constamment en mission et quand nous rentrions en France, nous avions des équipements de travail médiocres. La situation était si complexe que les psychiatres ont été sollicités. Mes collègues et moi-même avons tous obtenu des certificats médicaux ou nous avons été déclarés inaptes pour des raisons psychiatriques, sans aucun trouble psychiatrique sous-jacent. »
Sources : Rapport Cours des comptes (octobre 2023)